Benjamin Chapas

2 min.

27 octobre 2022

L’adoption du statut d’entreprise à mission par le groupe Danone devait constituer l’acmé du double projet économique et social initié dans les années 1970 sous la présidence d’Antoine Riboud. Face aux dérives d’un capitalisme déshumanisé et financiarisé, Danone n’a en effet eu de cesse de vouloir imposer l’image d’une entreprise "modèle" pouvant inspirer tous les défenseurs d’une économie plus juste et plus humaine. Mais l’adoption du statut de société à mission n’a pas eu l’effet escompté, et a au contraire fragilisé son développement en ayant fait apparaitre nombre de divisions au sujet de la RSE.

 

En effet, si la RSE chez Danone procédait à l’origine d’une logique plutôt expérimentale, locale et bottom up, elle s’est peu à peu immiscée à tous les niveaux et dans toutes les strates de l’entreprise à mesure qu’Emmanuel Faber s’imposait de son côté comme le héraut d’un capitalisme plus raisonnable. L'ancien PDG du groupe disait lui-même qu’il en allait d’un changement de perspective visant, en priorité, à redonner au profit son rôle de moyen et à l’entreprise sa fonction de création de richesses au service des êtres humains et de leur émancipation. Cette nouvelle approche se voulait donc ambitieuse, l'entreprise affichant des responsabilités croissantes vis-à-vis de ses parties prenantes internes et externes que l’adoption du statut d’entreprise à mission devait simplement entériner. Une ambition cependant contrecarrée par des "actionnaires activistes" qui, souvent, voient les investissements d’une entreprise en RSE comme des dépenses inutiles ne permettant pas de maximiser la valeur de l’action à court terme. Selon eux, il ne peut effectivement y avoir de responsabilité de l’entreprise sans création de profits, ce qui remet en cause l’intérêt pour une entreprise de s’engager sur la voie d’une reconnaissance statutaire de ses engagements sociétaux si celle-ci la désigne comme une « cible » à redresser selon les standards de la « valeur actionnariale ».

 

L’adoption du statut de société à mission a donc fait courir des risques à Danone, au sens où ses investissements indéfiniment augmentés pour s’afficher comme le meilleur élève de la classe RSE aura eu pour effet une crise de gouvernance qu’Emmanuel Faber, remplacé à la tête de l'entreprise au printemps 2021, aura payé au prix fort.

 

Si le cas "Faber-Danone" relève d’une opposition classique entre un capitalisme financier et un capitalisme plus raisonnable qui veut donner du sens et du temps à son action, c’est donc aussi l’absence d’une véritable mise en tension de ces deux "paradigmes" qui est à l’origine de la crise de gouvernance qui a frappé" le groupe. Le mouvement vers l’entreprise-providence ne peut se faire en effet sans engager une réflexion sur les conditions de mise en œuvre d’une "coopération conflictuelle "entre les différentes parties prenantes de l’entreprise autour des enjeux de la RSE, sans quoi cette tension ne pourra jamais trouver à se résoudre autrement que sous la forme d’incessantes divisions. Assumer la dimension conflictuelle de ce projet garantit par ailleurs l’engagement et l’implication de toutes les parties prenantes et leur participation active à la définition d’une politique de RSE qui doit trouver à rassembler, et ainsi se construire à l’appui de la diversité des points de vue qui fait toute la richesse d’une entreprise.

 

Benjamin Chapas est enseignant chercheur à l'Esdes Business School. Il est responsable de la spécialisation de master Management, Sciences Humaines et Innovations.

 

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