Les experts de l’ESDES Lyon Business School sont regroupés au sein de l’Institute Of Sustainable Business and Organizations (ISBO). Leurs travaux de recherche portent tous sur les enjeux du management responsable sous le prisme de la responsabilité sociétale des entreprises, de la finance et gouvernance des organisations, de l’économie et du management des innovations durables, perspectives du consommateur et du marché.
La dramatique crise sanitaire n’est sans doute pas encore terminée et les très récentes informations du GIEC cataclysmiques quant réchauffement climatique et malgré une réelle reprise économique amorcée dans les pays développés, on entrevoit un contexte très difficile. Il est donc toujours d’actualité de réfléchir sur l’après-crise. Journaux et experts proposent de premières analyses. On se situe dans la problématique que beaucoup décrivent : ne pas seulement concevoir une politique économique anti récession classique mais l’articuler à des éléments forts visant l’émergence et la consolidation d’un nouveau modèle de croissance/développement durable qu’impose notamment le réchauffement climatique. Dans ce contexte le paradigme de la frugalité technologique est riche de solutions durables. L’innovation frugale conçue en ses débuts pour les pays en développement, s’est diffusée dans le Nord développé en gagnant des attributs écologiques. Elle constitue aujourd’hui un nouveau paradigme porteur de soutenabilité offrant des réponses vertueuses qu’il serait opportun d’exploiter dans la prochaine période de manière à affronter la crise sanitaire et la nécessaire bifurcation écologique.
L’innovation frugale a fait l’objet de nombreuses analyses dans la dernière décennie. Née en Inde pour soutenir la consommation des plus pauvres. Elle correspond à une innovation « low-tech » inclusive. Tous les produits frugaux sont durables, simples, efficaces, et disposent de fonctions essentielles sans les fonctionnalisées non nécessaires. Le processus de recherche, de développement et de fabrication est fondé sur le savoir-faire, le bricolage intelligent. Davantage sur l’ingéniosité que sur l’ingénierie. Il est réalisé par des acteurs locaux. Toutefois ses qualités en faveur de l’environnement ne sont pas toujours attestées. Longtemps cantonné aux pays en développement, ce type d’innovation a été ensuite déployé dans les pays développés. L’innovation frugale a alors abandonnée certaines de ses caractéristiques qui l’associaient à des produits innovants mais plutôt rudimentaires.
Aujourd’hui on considère ce type d’innovation en relation avec ce que j’appelle le paradigme de la frugalité soutenable. Modèle qui s’adresse aux individus situés dans des contextes socio-économiques différents (et pas seulement les plus pauvres), et dans des économies ayant un haut niveau de développement. Ses caractéristiques ont été résumées par Mokter Hossain dans le Journal of Cleaner Production (10.1016/j.jclepro.2018.02.091) : 1) Gestion prudente, parcimonieuse, efficiente des ressources naturelles, 2) Produit robuste, prix abordable, performance minimale, 3) Attribut de soutenabilité, 4) Adaptable.
On a affaire à un autre concept, différent de celui d’innovation pour le pauvre qui définit l’innovation frugale (IF dorénavant) dans son stage d’émergence, notamment parce que ses bénéfices en faveur de l’environnement sont maintenant nécessaires compte des normes en vigueur dans le Nord. L’IF en économies développées diffère de celle relative aux marchés des pays en développement en termes de modes d’usage, de la qualité et des différences de prix d’avec les produits non frugaux. Deux différences essentielles expliquent ce fait : 1) les consommateurs à faible revenu (dont le nombre pourrait augmenter avec la crise post covid19) ont des revenus plus élevés en pays développés que ceux des pays en développement, 2) un groupe croissant de consommateurs très sensibles aux questions de développement durable peuvent être aussi une cible pour les produits frugaux soutenables. Etant entendu que la définition même de la frugalité technologique tend à varier selon les marchés car les exigences de base des secteurs et des pays diffèrent. Un exemple : l’entreprise autrichienne Emporia Telecom a revu la conception de ses téléphones portables dans une approche frugale recherchant la simplicité et la réduction des fonctions non essentielles mais maintenant les fonctionnalités centrales, de manière à cibler le public des personnes âgées (Emporia, 2019).
L’endettement des ménages et la croissance lente dans les économies développées, tend à maintenir le niveau de la population de consommateurs pauvres et donc sensibles aux prix des produits frugaux. Par ailleurs de plus en plus de consommateurs apparaissent sensibilisés aux questions environnementales et de développement durable, et recherchent un mode (style) de vie frugal. Ils sont demandeurs d’un nouveau modèle de production responsable et plus éthique consommant moins de ressources (Winkler Thomas, et al. "Frugal innovation in developed markets–Adaption of a criteria-based evaluation model." Journal of Innovation & Knowledge 5.4 (2020): 251-259). Là encore cette tendance relativement à l’état d’esprit sera renforcée par la conjugaison des crises sanitaires et écologiques. Ainsi il y a d’importantes opportunités en faveur du paradigme de la frugalité technologique soutenable. Par exemple l’économie circulaire que l’on considère comme un nouveau modèle de soutenabilité écologique, peut être fortement aidée par les pratiques d’innovation frugale, car elles obligent à porter attention aux conditions et aux opportunités locales. Innover frugalement c’est montrer ce qui peut faire l’objet d’un management efficace des ressources et des différentes réutilisations possibles. L’économie de fonctionnalités qui dissocie la propriété de l’usage, contribue à faire durer le produit, ce qui devrait favoriser un moindre gaspillage des ressources naturelles (cette innovation frugale d’organisation correspond également à de l’économie circulaire). Au final il est possible d’élargir la définition du paradigme de la frugalité pour le considérer comme un nouvel « art de vivre » et un style de vie beaucoup plus simple visant à diminuer la consommation de ressources (et donc aussi d’énergie), ouvrant la voie à un développement soutenable.
Christian LE BAS - Fiche expert
Professeur d’Economie
ESDES Institute of Sustainable Business and Organizations
Sciences and Humanities Confluence Research Center - UCLy – ESDES
ESDES Lyon Business School
10 place des Archives 69002 Lyon
“ESDES Institute of Sustainable Business and Organizations”