ARFAOUI Nabila

3 min.

8 juin 2023

L’activité de l’industrie chimique, qui s’est considérablement développée au cours du vingtième siècle, est considérée comme une source significative de problèmes environnementaux et sanitaires. Elle produirait 59 grammes de déchets industriels et 1,6 kg de CO2 pour un Euro de valeur ajouté créée, et serait également à l’origine de complications sanitaires puisque près de 30 000 décès anticipés proviendraient d’une exposition à des substances chimiques toxiques (PIPAME, 2010).  Néanmoins, en tant que fournisseur de base, l’industrie chimique est aussi un secteur clefs pour la gestion des risques environnementaux et sanitaires. En effet, la chimie occupe une position singulière dans le dispositif de durabilité dans la mesure où elle est directement ou indirectement impliquée dans l’essentiel des produits fabriqués, utilisés ou consommés. Aussi, en modifiant son empreinte environnementale, l’industrie chimique modifie indirectement celles des autres industries. Dès lors, dans une optique de développement durable, l’industrie chimique peut être considérée comme l’acteur central permettant d’agir à la source de la pollution et ainsi favoriser la transition vers une économie durable. 


Dans un tel contexte, l’Union européenne a adopté en 2006 le règlement REACH (Registration, Evaluation, Autorisation, and Restriction of Chemicals), qui est un des règlements les plus ambitieux jamais mis en place. Cette nouvelle réglementation qui introduit un nouveau système intégré d’Enregistrement, d’Évaluation et d’Autorisation des substances chimiques, modifie radicalement la manière de concevoir et de mettre en œuvre des contraintes environnementales et sanitaires. Pour la première fois, une réglementation environnementale inscrit dans ses statuts un objectif d’innovation. Le préambule du règlement précise que l’objectif central de cette nouvelle réglementation, consiste à « assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement, y compris la promotion de méthodes alternatives pour l’évaluation des dangers liés aux substances, ainsi que la libre circulation des substances dans le marché intérieur tout en améliorant la compétitivité et l’innovation » (CE n°1907/2006). Le règlement REACH a donc été conçu pour concilier des objectifs environnementaux avec des objectifs de compétitivité grâce notamment aux innovations environnementales qu’il induirait.  Dès le début des négociations préparatoires du règlement, l’innovation environnementale était présentée comme un compromis permettant de concilier des revendications multiples souvent considérés comme antagonistes. En s’appuyant sur l’hypothèse « win win » de Porter des auteurs prônent l’idée selon laquelle l’innovation environnementale doit être l’avantage le plus important du règlement REACH. Selon ces auteurs, le règlement doit permettre de modifier la trajectoire technologique dans l’industrie chimique vers des innovations environnementales, afin d’appréhender les problèmes environnementaux et sanitaires, tout en exploitant de nouvelles opportunités économiques et commerciales offertes par la problématique environnementale. La question qui se pose alors est de comprendre comment les mécanismes mis en place par le règlement serait susceptible de favoriser l’innovation environnementale ? 


Pour répondre à cette question nous avons mené une enquête originale auprès de 400 entreprises de la chimie en région PACA (Provence Alpes Côte d’Azur), (Arfaoui, 2018). Notre enquête visait les fabricants, importateurs et utilisateurs de substances chimiques, soit un grand nombre d’entreprises de l’industrie chimique de la région. Cette industrie constitue un objet d’étude particulièrement pertinent dans la mesure où la chimie en PACA représente une activité majeure de la chimie française. Cette dernière occupe le 2ième rang en termes d’emploi et produit près de 30% des polymères et 50% du chlore en France (PIPAME, 2010). Les résultats de l’enquête mettent en exergue que le règlement stimule un double effet règlementaire appelé regulatory push-pull. Dans le premier effet, qualifié de regulatory push, REACH favorise l’innovation par la création d’une nouvelle base de connaissances environnementales dans l'industrie chimique et de ses utilisateurs. Pour cela, REACH a créé de nouvelles sources d'information interne notamment par la procédure d’autorisation qui vient encourager les activités de R&D dans le domaine de l’environnement. D’autre part, REACH renforce les sources d’information externe par la mise en place des consortiums d’échange (SIEF). Dans le deuxième effet, qualifié de regulatory pull, le règlement stimule l’innovation par l’émergence d’une demande pour des produits plus écologiques. Dans cette perspective, REACH cherche à améliorer les informations sur la qualité environnementale des produits chimiques à travers, par exemple, les dossiers d’enregistrement qui contiennent des informations sur les propriétés intrinsèques de la substance mais également une évaluation des risques environnementaux et sanitaires. Par ailleurs, REACH élargit la conception traditionnelle du principe de responsabilité à l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement dans le but de sensibiliser la demande intermédiaire à la qualité environnementale. Ces résultats ont des implications managériales et politiques importantes en montrant comment la réglementation environnementale peut représenter une opportunité pour les entreprises, remettant en question l’idée selon laquelle celle-ci est avant tout une contrainte. 


Références : 

ARFAOUI, Nabila (2018). «Eco-innovation and regulatory push/pull effect in the case of REACH regulation: empirical evidence based on survey data». Applied Economics, 50, 14, 1536-1554.
PIPAME, 2010, Mutations économiques dans le domaine de la chimie, Paris. 

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