Anne-Sophie Thelisson

6 min.

9 mars 2023

Cet article sur l'entrepreneuriat en contexte de crise a été réalisé par O. Meier et A-S. Thelisson [1]. Il s'intéresse à la résilience organisationnelle et à la gestion de crise dans le contexte des petites et moyennes entreprises (PME) en crise mondiale. La résilience organisationnelle est définie par la vitesse à laquelle une entreprise atteint un équilibre dynamique après un choc et aux perturbations qui sont absorbées dans le contexte d'événements critiques et de crises majeures.


Résilience organisationnelle d’une PME dans un contexte de crise mondiale
 

Le concept de résilience organisationnelle

Le concept de résilience est de plus en plus utilisé dans la presse économique; néanmoins peu d'études démontrent empiriquement comment les entreprises développent leur capacité de résilience organisationnelle dans un contexte de crise mondiale, telle qu'on a pu la connaître avec la covid-19. De même, peu de travaux identifient les enseignements à tirer de la résilience organisationnelle sur leur performance. Dans bien des cas, les études portent  sur l'impact immédiat de la crise de la covid-19 et sur les capacités des entreprises à maintenir leurs activités en termes notamment d'effectifs, de problèmes de trésorerie et de gestion potentielle de faillites  à la suite des confinements .

Reconnaissant l'impact de la crise mondiale comme le COVID-19 sur l'innovation, le comportement entrepreneurial et la performance des entreprises, l'article examine comment la résilience organisationnelle peut être analysée, pour expliquer la manière dont une entreprise peut se régénérer face aux menaces et  perturbations provoquées par cette crise.

 

Etude de cas

Notre article repose sur une étude longitudinale en temps réel de neuf mois sur deux entreprises engagées dans des négociations de fusion-acquisition [2]. Les deux entreprises étudiées opèrent dans le secteur de la communication publique en France. Elles envisagent de fusionner pour développer un outil technologique performant. Notre étude analyse la période de négociation, en vue de réaliser la fusion puis leur retrait du projet dans un contexte de crise mondiale, rebattant les cartes pour chacune des entités .

Cette étude approfondie donne un aperçu de la résilience organisationnelle et de la capacité à faire face à des événements inattendus. Ce faisant, nos travaux complètent les études qui entendent explorer la façon dont les entreprises vivent les crises et développent une résilience organisationnelle. Les mécanismes mobilisés peuvent inclure:

(1) les compétences:les entreprises qui ont des compétences spécifiques, comme la gestion de crise, la gestion des risques, la gestion de l'innovation, etc. peuvent utiliser ces compétences pour faire face aux perturbations.

(2) les crédits: les entreprises qui ont accès à des crédits peuvent utiliser ces ressources pour faire face à une perturbation de la trésorerie ou à une augmentation des coûts.

(3) les relations antérieures et historiques:les entreprises qui ont des relations solides avec leurs fournisseurs, leurs clients, leurs partenaires, etc. peuvent utiliser ces relations pour obtenir des informations, des ressources, des soutiens, etc.

(4) la culture d'entreprise: les entreprises qui ont une culture d'entreprise positive et orientée vers l'apprentissage peuvent utiliser cette culture pour gérer les perturbations et limiter les impacts sur leur performance.

De tels éléments vont ainsi permettre à l'organisation de développer une capacité de récupération rapide. La notion de "capacité de récupération" ou "capacité de récupération rapide" est un concept qui peut, par certains aspects, se rapprocher des travaux de Michael Tushman et David Nadler. Elle peut se voir comme la capacité d'une entreprise à utiliser des ressources internes et externes pour faire face à une perturbation et retrouver rapidement sa performance normale. Dans cette perspective, les entreprises qui ont une capacité de récupération rapide sont mieux à même de maintenir leur performance et de se régénérer.

A partir de cette capacité, l'entreprise va dès lors avoir les moyens d'agir et d'innover, autour de quatre principaux leviers:
la réactivité : les deux entreprises réagissent rapidement (dans les deux premiers mois de la crise) et efficacement (comportement consistant) aux perturbations, afin d'atténuer les effets négatifs de la crise sur leur performance.
la flexibilité : les entreprises adaptent leur modèle de gestion pour faire face aux perturbations [chaine de valeur revisitée]
l'apprentissage : les deux entités identifient les causes conjoncturelles et structurelles de la perturbation et en tirent des enseignements en termes de vocation, de métiers et de mode de fonctionnement [nouvelle gouvernance]
- la régénération : les entités utilisent les leçons apprises pour se régénérer, en organisant différemment leurs ressources et en modifiant leurs pratiques  [nouveau modèle économique]
 

Un apprentissage en double boucle

L'étude menée montre que les entreprises concernées ont eu recours à un processus d'apprentissage en double boucle.

La première phase du processus permet aux organisations de faire face et de s'adapter à l'environnement en récupérant les réserves de soutien, pour maintenir au mieux l'activité (réactivité et flexibilité). C'est donc une phase où l'organisation fait face à la situation ; elle utilise ses connaissances et compétences existantes pour s'adapter à la nouvelle situation.
 
La deuxième phase du processus correspond à la deuxième boucle d'interaction. Il s'agit ici d'un processus de remise en question des croyances, pratiques et comportements existants. Cette deuxième phase permet aux individus et aux organisations de remettre en cause leurs présupposés, valeurs et croyances afin de les adapter à de nouvelles réalités (régénération, développement d'une nouvelle activité).

Ces deux phases bien distinctes sont connues dans la littérature académique sous le nom d'apprentissage en double boucle. La première étape est désignée sous le terme de "boucle d'acquisition de connaissances". La seconde étape est perçue comme une "boucle de réflexion".
 

En conclusion

Il ressort de l'analyse effectuée qu'en temps de crise, ce processus d'apprentissage en deux étapes s'avère plus bénéfique pour les organisations qu'un apprentissage unique en « boucle d'expérience ». Il permet aux individus et organisations de s'adapter aux nouvelles réalités, tout en remettant en question leurs croyances et pratiques existantes.

Ce type d'apprentissage peut par conséquent stimuler la créativité et l'innovation, en allant au-delà de l'adaptation au changement pour anticiper ou être en avance sur les tendances d'évolutions. Ce processus d'apprentissage est donc plus apte à générer des changements durables et adaptatifs.

Nos travaux complètent et enrichissent ainsi les travaux antérieurs sur la résilience organisationnelle, en montrant comme cette dernière contribue à alimenter ce processus de boucle d'apprentissage.
 
 

Notes

1) Bibliographie des auteurs:
  - O. Meier, Professeur des Universités, HDR
  - A-S. Thelisson, Maître de conférences

2) Voir notre recherche commune, menée en 2022 sur "Évolution du business modèle d’une PME: quelques enseignements tirés d’un cas", Recherches en Sciences de Gestion, (2), 31-60.

Références

Meier O. (2020), "Crise de la Covid-19: quels défis pour les entreprises", Journal de l'économie, Novembre.
Meier O. (2016), "Les limites du modèle commande/contrôle", MOOC, Chaire ESSEC Innovation Managériale
Meier O., Barabel M. (2020), « Manager en temps de crise » in Changement de crise, Editions Eska, p. 177-186.
Meier O., Barabel M. (2020),Les RH à l'ère de la covid-19, Editions Dunod.
Meier O., Barabel M. (2019), « Maintenir l’engagement lors d’une rupture stratégique » in Empowerment, EMS, p. 37-48.
Thelisson A-S, Meier O.(2022), "Évolution du business modèle d’une PME: quelques enseignements tirés d’un cas", Recherches en Sciences de Gestion, (2), p. 31-60.
Thelisson A-S (2020), "Gestion de crise et accompagnement entrepreneurial", Cahier ESDES.
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