Audric Mazzietti

4 min.

10 mai 2022

Depuis quelques années, l’égalité Femmes-Hommes est devenue une préoccupation de premier plan. Que cela soit dans la vie privée, professionnelle ou politique, force est de constater que notre société semble a priori évoluer vers plus d’égalité. L’exemple des dernières élections présidentielles est frappant. Pour la première fois, trois femmes sont candidates pour de grands partis. Du jamais vu ! Pourtant, l’analyse de l’égalité Femmes-Hommes, à travers le prisme de la vie politique, suggère que derrière cette apparente évolution se cachent de nombreux pièges tendus aux femmes.


En effet, l’évolution de la place des femmes en matière de vie politique résume assez fidèlement l’évolution de la place des femmes dans la société. Dans ce domaine, « l’existence » des femmes est récente, puisque celles-ci n’ont le droit de vote que depuis 1944. Ce simple fait rend possible l’aberration suivante : Marie Curie, scientifique d’exception, n’avait pas le droit de vote alors que son contemporain Landru, tueur en série, l’avait. Malheureusement, dans les décennies suivantes, la vie politique, au même titre que la vie professionnelle, est restée phagocytée par les hommes. Il est tentant d’expliquer cela par un « retard historique » (Laufer, 1997) pris par les femmes. Pourtant, dans de nombreux pays, la forte progression du nombre de femmes diplômées ne s’est pas accompagnée d’une progression similaire du nombre de femmes occupant de hautes fonctions. Ce phénomène trouve une explication dans ce que l’on appelle le « plafond de verre » que l’on peut résumer ainsi : l’ensemble des obstacles visibles et invisibles qui rendent difficile ou impossible l’accession des femmes aux plus hautes instances professionnelles et organisationnelles.


Le plafond de verre comprend diverses injonctions faites aux femmes, comme interrompre ses études ou sa carrière pour s’occuper des enfants et du foyer mais aussi des prophéties autoréalisatrices alimentées par des stéréotypes de genre tels que « les femmes ne sont pas faites pour diriger ». Une étude réalisée par Pascal Huguet et ses collègues (2007) a permis de montrer à quel point ces stéréotypes influencent le comportement des femmes, dès le plus jeune âge. Dans cette étude, des enfants de 6e et 5e devaient reproduire de mémoire une figure géométrique. Pour la moitié des enfants, la consigne indiquait que le test évaluait leurs compétences en géométrie alors que pour l'autre moitié la consigne disait évaluer les compétences en dessin. Les résultats ont montré que quand il s'agissait de géométrie, les filles étaient très inférieures aux garçons, alors que quand il s'agissait de dessin, c'était l'inverse. Voila comment les stéréotypes de genre manipulent et conditionnent dès l’enfance l’avenir des femmes. Pour celles qui parviennent à briser le plafond de verre, le combat est loin d’être fini.


L’exemple de Ségolène Royal, candidate malheureuse à l’élection présidentielle en 2007 est édifiant. Désignée candidate par 60% des militants socialistes, réunissant 26% des électeurs au premier tour et 47% au second, Ségolène Royal était une candidate légitimée par les urnes. Ses résultats ne reflètent pourtant pas sa campagne, émaillée d’incessantes attaques visant à la discréditer. D’où venaient la majorité de ces attaques ? Des hommes, cadres de son propre camp. Pourquoi ont-ils fait cela ? Il se pourrait qu’un biais cognitif, celui des croyances à somme nulle, soit à l’origine de ce comportement. Initialement étudié par la Professeure de Psychologie Victoria Esses (1998, 2001) dans le cadre de la compétition entre les groupes et appliqué à l’immigration, le biais des croyances à somme nulle suggère qu’un individu ou groupe d’individus se croyant en compétition avec un autre pense que tout gain pour celui-ci se fera au détriment du sien. Appliqué aux inégalités entre les hommes et les femmes, ce modèle suggère que les hommes perçoivent que chaque avancée pour les femmes, en termes de libertés, de droits ou de statut s’accompagne de pertes réciproques pour les hommes (Ruthig, 2017). Ceci explique pourquoi Ségolène Royal a vu tous ces hommes s’en prendre à elle. La peur de perdre leur place les aurait poussés à se retourner contre elle, car elle était perçue comme une menace pour leur position.

En 2022 cependant, les choses semblent avoir évolué. L’élection présidentielle voit trois femmes représenter de grands partis politiques. Mais attention, derrière cette apparente ouverture de l’accès des femmes aux plus hautes sphères du pouvoir se cache peut-être un piège : celui de la falaise de verre. Depuis la fin du premier tour, Valérie Pécresse et Anne Hidalgo sont fustigées pour leurs scores largement en dessous des attentes. On leur reproche même d’avoir « coulé » leur parti respectif. Mais avaient-elles une chance de l’emporter ? Aucune et c’est certainement pour cette raison qu’elles ont été désignées candidates. C’est ce que suggèrent les travaux de Michelle Ryan et Alexander Haslam qui, en 2005 ont décrit le phénomène de falaise de verre. Leur étude s’est concentrée sur un échantillon de 100 entreprises cotées à la bourse de Londres. Dans ce domaine aussi on reproche allègrement aux femmes de ne pas faire de bons leaders. En effet, certains travaux (Judge, 2003) ont suggéré que plus ces entreprises possèdent de femmes à des postes de direction, moins elles sont performantes. Ryan et Haslam ont observé qu’en vérité ces entreprises sous-performaient plusieurs mois avant que des femmes ne soient placées à leur tête. Ces femmes ont vraisemblablement été placées dans une situation d’échec inévitable, pour servir de bouc émissaire. Cette falaise de verre représente donc une nouvelle forme de sexisme, pernicieuse, dans laquelle les femmes sont manipulées et placées à des postes stratégiques non pas pour leurs compétences mais pour y être sacrifiées. En matière d’égalité Femmes-Hommes, notre société produit malheureusement plus de pièges que d’avancées. Il est capital de les connaitre pour les déjouer.

Audric Mazzietti
Docteur en psychologie cognitive de l’université de Lyon, enseignant chercheur en Psychologie et responsable digital learning de l’ESDES Lyon business school. Membre de l’unité de recherche confluence, sciences et humanités de l’université catholique de Lyon – ESDES.

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